mardi 30 décembre 2014

Les « crimes » des templiers. La vision extravagante de Guillaume Paradin (1552)



En 1552, Guillaume Paradin (1510-janvier 1590), chanoine puis doyen du chapitre de la collégiale de Beaujeu (Rhône), livre dans sa Chronique de Savoie une version très personnelle des crimes dont les templiers se seraient rendus coupables.
Pratiques sataniques, idolâtrie (la fameuse idole qu'aurait vénérée les templiers), viols, infanticides, orgies... Paradin instruit à charge sans aucune preuve factuelle, prêtant foi aux accusations proférées deux siècles auparavant par le pouvoir capétien. Il contribue ainsi à répandre des idées reçues qui traverseront le temps.
Curiosité du texte, Paradin popularise l'expression « boire comme un templier », qui ferait référence à l'ivrognerie légendaire des frères. Autre étrangeté, l'auteur suppose que Philippe le Bel a ordonné l'arrestation des templiers de France (le 13 octobre 1307) pour venger son aïeul, Louis IX, qui aurait été trahi par l'ordre durant la septième croisade. 

« Peu de temps après fut découverte la méchanceté et l’abominable impiété des templiers, lesquels, ayant premièrement été religieux gens d’armes et fait profession de guerroyer les Turcs et autres mécréants, étaient tombés par trait de temps et par communication avec les infidèles en exécrable hérésie et impiété. Et ayant renoncé à notre seigneur Jésus Christ, [ils] s’étaient adonnés à un sacre abominable. Car  ils avaient un lieu creux, ou cave en terre fort obscure en laquelle ils avaient une image en forme d’un homme, sur lequel ils avaient appliqué la peau d’un corps humain et mis deux claires et luisantes escarboucles au lieu des yeux. À cette horrible statue étaient contraints de sacrifier ceux qui voulaient être de leur religion – ou plutôt damnable et réprouvée secte –, lesquels, avant toute cérémonie, ils contraignaient de renier Jésus Christ et [de] fouler la croix avec les pieds. Et après ce maudit sacre, auquel assistaient femmes et filles (séduites pour être de cette secte), ils éteignaient les lampes et lumières qu’ils avaient en cette cave et violaient femmes et filles sans égard d’honnêteté, et exerçaient stupres, adultères, paillardises et toutes abominables ordures comme anciennement on faisait à Rome es Bacchanales. Et advenant que l’un de ces templiers mourut, ils brûlaient le corps et, l’ayant rédigé [réduit] en cendres, mêlaient lesdites cendres en un breuvage, duquel ils donnaient à boire à tous ceux de leur secte, estimant par ce moyen qu’ils seraient plus fermes et fidèles les uns aux autres. Et s’il advenait que d’un templier et d’une pucelle naquit un fils, ils se rangeaient tous en rond ou couronne et se jetaient cet enfant de main en main, comme on fait lorsqu’on joue au pot cassé, et ne cessaient de se le jeter jusqu’à ce qu’il fut mort entre leurs mains. Étant mort, ils le rôtissaient (chose exécrable) et, de la graisse, ils en oignaient leur grande statue. Plusieurs autres grandes impiétés et méchancetés [ils] perpétraient car ils étaient bougres [référence à l’hérésie albigeoise] et sodomites. Et avec toutes ces choses ils faisaient état de gourmandises, banquets et ivrogneries, et étaient ceux qui mieux remplissaient la panse, en plus grande réputation entre eux, dont l’on dit encore jusqu’aujourd’hui boire comme un templier, qui est adage de taverne. Toutes ces malheureuses mises en lumière et éventées partout, fut ce méchant et malheureux ordre des templiers condamné et aboli en un concile tenu à Vienne par le pape Clément, cinquième de ce nom. Le roi Philippe de France ayant été acertené [assuré] que par la méchanceté des chevaliers dudit ordre, le roi saint Louis, son aïeul, avait été livré entre les mains du soudan [sultan] d’Égypte faisant guerre en Syrie, fit prendre le grand maître de leur ordre. Lequel étant convaincu et ayant confessé toutes ces méchancetés, impiétés, abominations, stupres et infidélités mentionnées [la présence de "stupre" voudrait que l'accord soit au masculin] fut brûlé tout vif et grand nombre de ses chevaliers. Et furent leurs biens donnés aux hospitaliers de Saint-Jean de Rhodes. »

Note : [texte en romain entre crochets] : ajouts de confort ; [texte en italique entre crochets] : précisions, commentaires.

Texte modernisé par l'auteur, tiré de : Paradin (Guillaume), Cronique de Savoye, chap. XLVI, « De l’impiété des templiers », Lyon, impr. Jean de Tournes et Guillaume Gazeau, 1552, p. 248-250.

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Pour en finir avec quelques fables templières

Phénomène à succès de la littérature, du cinéma, de la presse et d'internet, les templiers ne cessent d'intriguer et de fasciner.

Membres d'un ordre religieux et militaire n'ayant même pas vécu deux siècles (1129-1312), les templiers suscitent pourtant un nombre incroyable d'idées reçues : ils étaient les banquiers de l'Occident, ils possédaient des milliers de commanderies, ils ont été condamnés pour hérésie, ils ont caché un fabuleux trésor, ils ont maudit le roi de France Philippe le Bel et le pape, ils ont survécu dans la franc-maçonnerie, ils étaient proches des cathares, ils avaient découvert le graal et étaient les gardiens du suaire du Christ... des fantasmes qui se substituent trop souvent à la véritable histoire du Temple.

Cet ouvrage est l'occasion de faire la part de la réalité historique et des mythes encore très ancrés dans les mentalités.

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