Originaire de Lyon, Benoît Rozet (1732 ?-179 ?),
libraire parisien, est l’auteur de plusieurs ouvrages publiés pendant la
Révolution. Dans sa Véritable origine des
biens ecclésiastiques..., il retrace en quelques lignes l’histoire de l’ordre
du Temple et témoigne, à cette occasion, d’une certaine retenue dans l’exposé
des faits. S’il donne crédit à la pseudo-malédiction prononcée par Jacques de Molay
en mars 1314, il ne le fait qu’en se retranchant derrière la parole de « quelques
historiens ». Quant aux crimes qu’on reprocha aux frères du Temple, ils sont « si abominables, que l’histoire
même, en les rapportant, laisse à douter de leur réalité ». On ne pourra
que louer cette modération de ton, malgré les approximations et erreurs, après
tout assez fréquentes chez les auteurs du temps.
« L’ordre des templiers commença par une simple association
de sept gentilshommes français [neuf si l'on en croit Guillaume de Tyr, plus encore pour Michel le Syrien] qui s’unirent pour servir d’escorte aux pèlerins
de la Terre-Sainte. Le concile de
Troyes, tenu sous le pape Honorius II, en fit un ordre religieux et militaire, et
Saint Bernard [non : le concile] leur donna une règle, l’habit blanc et la croix rouge [apparaîtra plus tard]. Cette
nouvelle milice s’accrut considérablement en très peu de temps. Les princes,
les seigneurs, tout ce que la chrétienté avait de plus illustre voulut combattre
sous son habit et sous ses enseignes. On
leur donna le nom de templiers parce que leur première habitation était près le
temple à Jérusalem. Bientôt ils devinrent si puissants, que leur fortune égala
celle des souverains ; mais ces richesses furent les causes de leur
malheur et de leur perte. L’orgueil, la fierté, l’indépendance, l’esprit du
monde, le luxe, la volupté infectèrent tout l’ordre. Le proverbe ancien, boire comme un templier, fait voir
quelle était leur réputation sur ce dernier article. Ils ne reconnaissaient de
supérieur que leur grand maître. Les crimes qu’on leur imputa sont si
abominables, que l’histoire même, en les rapportant, laisse à douter de leur
réalité ; et les rétractations de ceux qui en étaient convenus, dans les
tortures, rendent la chose plus indécise. Quoi qu’il en soit, les templiers, qui étaient
en France, furent tous arrêtés, en un seul jour, par ordre de Philippe le Bel.
Le procès dura quatre ans. Enfin, au mois de mai 1311 [non : en mars 1312, par la bulle Vox in Excelso], le pape Clément V,
siégeant alors à Avignon [non : lors du concile de Vienne], les supprima de son chef, contre l’avis de tous les
évêques de France, d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne et de Danemark, assemblés pour juger cette grande
affaire. On n’en excepte qu’un seul prélat italien et trois français, les
archevêques de Reims, de Sens et de Rouen, qui furent de l’avis du pontife. Le
grand maître, les principaux chevaliers et une multitude infinie de membres de
l’ordre furent brûlés vifs à Paris ou ailleurs. Leurs biens immenses furent
saisis et confisqués dans tous les pays où ils avaient des possessions ; l’ordre
de Malte [s'appelle alors ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem], ainsi que plusieurs autres ordres militaires, en obtinrent une grande
partie. Ce qu’il y eut d’assez extraordinaire,
selon quelques historiens, c’est que le grand maître, au milieu des flammes, n’ayant
plus que la langue de libre, et presque étouffé de fumée, ayant ajourné le
pape, en l’appelant juge inique et cruel
bourreau, à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain
juge, et Philippe dans un an [version infirmée par les rares témoins] ; la mort de ce prince et celle du pape
arrivèrent précisément dans les mêmes termes. On pense assez généralement aujourd’hui que les immenses
richesses des templiers, l’indépendance et le mépris qu’ils témoignaient pour
toutes les autres puissances, furent les seules causes de leur destruction ;
mais, malgré l’ignorance et la barbarie de ces temps, il ne fallait pas moins
que des délits aussi graves de leur part, vrais ou supposés, pour sévir contre
eux avec tant de rigueur. »
Note : [texte en italique entre crochets] : précisions, commentaires.
Texte modernisé par l’auteur, tiré de : Rozet (Benoît), Véritable origine des biens ecclésiastiques : Fragments historiques et curieux, contenant les différentes voies par lesquelles le clergé séculier et régulier de France s'est enrichi ; accompagnés de notes historiques et critiques, Paris, Desenne et Rozet, 1790, p. 216-218.
Note : [texte en italique entre crochets] : précisions, commentaires.
Texte modernisé par l’auteur, tiré de : Rozet (Benoît), Véritable origine des biens ecclésiastiques : Fragments historiques et curieux, contenant les différentes voies par lesquelles le clergé séculier et régulier de France s'est enrichi ; accompagnés de notes historiques et critiques, Paris, Desenne et Rozet, 1790, p. 216-218.