mardi 13 janvier 2015

L'histoire du Temple vue par Benoît Rozet (1790)

Originaire de Lyon, Benoît Rozet (1732 ?-179 ?), libraire parisien, est l’auteur de plusieurs ouvrages publiés pendant la Révolution. Dans sa Véritable origine des biens ecclésiastiques..., il retrace en quelques lignes l’histoire de l’ordre du Temple et témoigne, à cette occasion, d’une certaine retenue dans l’exposé des faits. S’il donne crédit à la pseudo-malédiction prononcée par Jacques de Molay en mars 1314, il ne le fait qu’en se retranchant derrière la parole de « quelques historiens ». Quant aux crimes qu’on reprocha aux frères du Temple, ils sont « si abominables, que l’histoire même, en les rapportant, laisse à douter de leur réalité ». On ne pourra que louer cette modération de ton, malgré les approximations et erreurs, après tout assez fréquentes chez les auteurs du temps.

« L’ordre des templiers commença par une simple association de sept gentilshommes français [neuf si l'on en croit Guillaume de Tyr, plus encore pour Michel le Syrien] qui s’unirent pour servir d’escorte aux pèlerins de la Terre-Sainte. Le concile de Troyes, tenu sous le pape Honorius II, en fit un ordre religieux et militaire, et Saint Bernard [non : le concile] leur donna une règle, l’habit blanc et la croix rouge [apparaîtra plus tard]. Cette nouvelle milice s’accrut considérablement en très peu de temps. Les princes, les seigneurs, tout ce que la chrétienté avait de plus illustre voulut combattre sous son habit et sous ses enseignes. On leur donna le nom de templiers parce que leur première habitation était près le temple à Jérusalem. Bientôt ils devinrent si puissants, que leur fortune égala celle des souverains ; mais ces richesses furent les causes de leur malheur et de leur perte. L’orgueil, la fierté, l’indépendance, l’esprit du monde, le luxe, la volupté infectèrent tout l’ordre. Le proverbe ancien, boire comme un templier, fait voir quelle était leur réputation sur ce dernier article. Ils ne reconnaissaient de supérieur que leur grand maître. Les crimes qu’on leur imputa sont si abominables, que l’histoire même, en les rapportant, laisse à douter de leur réalité ; et les rétractations de ceux qui en étaient convenus, dans les tortures, rendent la chose plus indécise.  Quoi qu’il en soit, les templiers, qui étaient en France, furent tous arrêtés, en un seul jour, par ordre de Philippe le Bel. Le procès dura quatre ans. Enfin, au mois de mai 1311 [non : en mars 1312, par la bulle Vox in Excelso], le pape Clément V, siégeant alors à Avignon [non : lors du concile de Vienne], les supprima de son chef, contre l’avis de tous les évêques de France, d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre, d’Allemagne et  de Danemark, assemblés pour juger cette grande affaire. On n’en excepte qu’un seul prélat italien et trois français, les archevêques de Reims, de Sens et de Rouen, qui furent de l’avis du pontife. Le grand maître, les principaux chevaliers et une multitude infinie de membres de l’ordre furent brûlés vifs à Paris ou ailleurs. Leurs biens immenses furent saisis et confisqués dans tous les pays où ils avaient des possessions ; l’ordre de Malte [s'appelle alors ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem], ainsi que plusieurs autres ordres militaires, en obtinrent une grande partie.  Ce qu’il y eut d’assez extraordinaire, selon quelques historiens, c’est que le grand maître, au milieu des flammes, n’ayant plus que la langue de libre, et presque étouffé de fumée, ayant ajourné le pape, en l’appelant juge inique et cruel bourreau, à comparaître dans quarante jours devant le tribunal du souverain juge, et Philippe dans un an [version infirmée par les rares témoins] ; la mort de ce prince et celle du pape arrivèrent précisément dans les mêmes termes. On pense assez généralement aujourd’hui que les immenses richesses des templiers, l’indépendance et le mépris qu’ils témoignaient pour toutes les autres puissances, furent les seules causes de leur destruction ; mais, malgré l’ignorance et la barbarie de ces temps, il ne fallait pas moins que des délits aussi graves de leur part, vrais ou supposés, pour sévir contre eux avec tant de rigueur. » 

Note : [texte en italique entre crochets] : précisions, commentaires. 

Texte modernisé par l’auteur, tiré de : Rozet (Benoît), Véritable origine des biens ecclésiastiques : Fragments historiques et curieux, contenant les différentes voies par lesquelles le clergé séculier et régulier de France s'est enrichi ; accompagnés de notes historiques et critiques, Paris, Desenne et Rozet,  1790, p. 216-218. 

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